Nous rirons plus tard, pour l’instant je vais vous emmener dans le bâtiment de pierre. Arrivé à l’angle de l’édifice, vous aurez l’impression d’être dans une impasse, mais droit devant, au
pied de l’escalier, la rue tourne à gauche. Vous vous arrêterez là pour dire adieu au monde des hommes. Le chemin qui nous a menés ici est sans retour. Dedans, nuit et jour, la lumière est allumée, tout est exposé à une clarté violente et impitoyable et chacun est réduit à son ombre. À chaque question, il faut faire une réponse brève, une destinée tient en quelques phrases. Il faut avouer. Le temps n’a plus d’autre sens. L’homme est le plus vieux des mystères, c’est de la matière qui parle.
Autrefois, j’ai aimé quelqu’un. Il est parti en me laissant ses yeux. Il n’avait personne à me laisser. Aimer... Ce mot-là, je l’ai trouvé en fouillant dans mon cœur, en sondant inlassablement ces épaisses ténèbres. Mais personne ne m’a dit que “chacun tue celui qu’il aime” !
Nous étions ensemble dans l’édifice de pierre. J’ai longtemps prêté l’oreille aux bruits. Quand mon tour est venu, le jour n’était pas encore levé. Bien sûr, vous ne me croyez pas. Vous pensez que ce bâtiment est issu de mon rêve ? Mais nos rêves ne sont-ils pas le levain de la pâte dont nous sommes pétris ? Finalement, l’aube va naître, des traînées rouge sang vont apparaître à l’horizon... Dans le ciel tendu, terne, tout plat, les étoiles vont se solidifier et disparaître l’une après l’autre. La dernière laissera pendre une corde vers le bas, vers nous. Ta nuit muette, tes mots coupés en deux et ensanglantés, tes ombres errantes, privées de leur maître, tes rêves couleur de cœur dont personne ne veut, tes mots ailés vont pouvoir y grimper... Tous tes rêves, venus vivre parmi nous et repartis sans crier gare, vont pouvoir se hisser vers les profondeurs...
Dans les tréfonds où se perdent tout homme et toute chose...
Mais vous ne m’entendez pas ? J’aurais peut-être dû faire mon récit au passé. J’ai attaqué ma chanson dans le mauvais sens, par la mauvaise note.